Vapoter dans les cafés, bars, restaurants et discothèques sera-t-il bientôt aussi strictement interdit que d’y fumer des « vraies » cigarettes ? La loi de santé promulguée le 26 janvier proscrit officiellement l’usage de l’e-cigarette dans les établissements accueillant des enfants, dans les « moyens de transport collectif fermés » et dans « les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif ». Une interdiction en apparence claire et systématique à destination des 1,5 million de Français qui vapotent quotidiennement, mais qui pourrait pourtant souffrir quelques exceptions lorsque paraîtra le décret d’application d’ici à la fin mars.
Au ministère de la santé, la Direction générale de la santé assure en effet que « le gouvernement ne prévoit pas d’interdire de vapoter » dans les bars et restaurants, se rangeant en cela à l’avis du Conseil d’Etat d’octobre 2013 qui avait jugé « disproportionnée » une « interdiction générale » de l’usage de l’e-cigarette. Pour les autorités sanitaires, il s’agit aujourd’hui de tenir un étroit chemin de crête : limiter fortement l’usage de l’e-cigarette pour ne pas banaliser le geste de fumer, sans non plus la stigmatiser totalement car elle pourraitêtre un instrument de sevrage efficace, même si cela fait pour l’instant toujours l’objet de controverses scientifiques.
« Sur la question des bars et des restaurants, le ministère de la santé a une position floue qui nous laisse à penser qu’il souhaite renvoyer le débat à l’établissement d’une jurisprudence, ce qui prendrait plusieurs années », regrette Rémi Parola, le coordinateur de la Fivape, la structure qui rassemble les professionnels de l’e-cigarette.
Pour certaines associations d’utilisateurs, composées d’anciens gros fumeurs qui ont réussi à arrêter grâce à la vape, ramener les vapoteurs dans les fumoirs ou sur le trottoir avec les autres fumeurs risque de favoriser leur reprise du tabac.
Mise en place de « zones vapoteurs »
Chez les associations antitabac hostiles à l’e-cigarette, la loi est suffisamment claire et ne pourra pas être assouplie par le décret d’application. « Les bars et les restaurants sont des lieux de travail couverts collectifs, il sera donc logiquement interdit d’y vapoter », analyse Yves Martinet, le président du Comité national contre le tabagisme, farouche contempteur de l’e-cigarette. « A moins d’imaginer des clients sans personne pour les servir, il n’y a sur ce point ni ambiguïté ni échappatoire », abonde Eric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail.
Pour trouver une réponse intermédiaire, le ministère a demandé aux cafetiers et restaurateurs ce qu’ils penseraient de la mise en place de « zones vapoteurs », comme il existait autrefois des zones fumeurs. « Il est hors de question de mettre en place de telles zones, a répondu, catégorique, Laurent Lutse, le président national de la branche cafés, brasseries et établissements de nuit de l’UMIH, l’organisation professionnelle des hôteliers. Nous disons non au vapotage à l’intérieur des établissements. » Dans vingt ans, on pourrait nous accuserd’avoir laissé fumer dans les établissements. » Interrogés par Le Monde, plusieurs responsables de brasseries parisiennes rapportent que les clients vapotant à l’intérieur sont aujourd’hui « très rares ».
« Déboussolées »
Signe du tâtonnement des autorités sanitaires sur cette question, le gouvernement a demandé, il y a quelques mois, au Haut Conseil de la santé publique (HCSP) d’actualiser son avis de mai 2014 sur le rapport bénéfices-risques de l’e-cigarette. « On met en balance les avantages pour les fumeurs et les inconvénients pour les jeunes, et ce n’est pas facile de savoirde quel côté penche cette balance », commente le professeur Roger Salamon, le président du HCSP. Les conclusions du groupe de travail sont attendues d’ici à la fin février.
« Pourquoi le Haut Conseil est-il saisi si tard ? Pourra-t-il formuler des recommandations qui vont à l’encontre de la loi santé ? », s’interroge Brice Lepoutre, le président de l’Aiduce, l’Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique. En octobre, 120 médecins, pneumologues, tabacologues, addictologues et cancérologues avaient lancé un appel en faveur de la promotion de la cigarette électronique auprès du grand public et du corps médical pour en développer l’usage. « Si les autorités étaient vraiment déboussolées sur cette question, lance M. Lepoutre, elles auraient dû mettre un moratoire sur le projet de loi santé avant de s’acharner contre la vape. »
Source : Le monde