Pour les fabricants de cigarettes, le compte à rebours a commencé. Ils n’ont plus que quelques mois pour faire la promotion de leur cigarette électronique et recruter de nouveaux adeptes. Après le 20 mai, une directive européenne sur les produits du tabac renforçant les normes de fabrication et restreignant la communication s’appliquera à tous les industriels. Elle doit être transposée dans le cadre d’une ordonnance dans les prochaines semaines, notamment l’article 20 relatif à la cigarette électronique. C’est ce qu’indique la « loi de modernisation de notre système de santé » du 26 janvier, qui a par ailleurs durci les règles régissant la publicité et l’usage de l’e-cigarette.
Les grands groupes espèrent capter une partie du marché qui leur a jusqu’à présent échappé. La cigarette électronique a été adoptée par 3 millions de personnes en France (6 % des 15-75 ans), dont la moitié vapotent quotidiennement, selon les derniers chiffres du baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.
Un marché fragmenté
En 2015, les trois principaux cigarettiers ont lancé leur modèle de cigarette électronique en France, en utilisant leur circuit de distribution habituel, à savoir les débitants de tabac (plus de 26 000 buralistes en France). Imperial Tobacco, au travers de la société Fontem Ventures, a lancé JAI en février 2015, qu’elle a prévu de remplacer par la marque internationale Blu récemment acquise et qui a une plus forte présence sur le marché américain et britannique. Japan Tobacco International a sorti Logic Pro à la fin du mois de novembre après avoir racheté début 2015 la société américaine Logic et son e-cigarette. Enfin, British American Tobacco (BAT) a commercialisé Vype fin novembre, après avoir lancé son premier modèle en 2013 au Royaume-Uni, où il revendique 7 % de parts de marché fin 2015. Le tout à grand renfort de communication : 1 million d’euros a été investi chez BAT pour faire connaître la marque en France sur Internet et par affichage numérique entre le 19 décembre et le 24 janvier.
La promesse des fabricants : une cigarette électronique baptisée cigalike plus sécurisée car on ne peut pas la remplir, comme pour la plupart des articles existant sur le marché, avec n’importe quel liquide. Les recharges s’utilisent comme les cartouches d’encre des stylos-plumes, avec ou sans nicotine, préremplies, jetables, faciles à installer et plus hygiéniques. Le revers pour les consommateurs : devoir utiliser uniquement des cartouches de recharges d’une même marque, à la façon dont s’est lancée la marque Nespresso, pour rendre les utilisateurs captifs.
Les professionnels espèrent compenser la baisse anticipée des ventes de cigarettes avec la mise en place du paquet neutre
Le marché de la cigarette électronique est aujourd’hui fragmenté. Autour d’une technologie chinoise conçue par les fabricants d’électronique grand public, diffusée dans le monde par des importateurs et des start-up, le marché s’est structuré en quelques années en un vaste écosystème sur lequel il existe très peu de données. « Il est très difficile d’estimer la taille du marché, car il n’y a pas de panel [de distributeurs] Nielsen, ou IRI, comme cela peut exister dans d’autres secteurs, explique Stéphane Munnier, responsable du projet Vype chez BAT. Et il y a très peu de données chiffrées vu la multiplicité de sources et de circuits de distribution. Donc chacun se fait son estimation, mais aucun acteur n’atteint 10 % du marché. »
Il y a ainsi plusieurs catégories d’acteurs : « Des spécialistes de l’appareil, qui sont plutôt des importateurs ou des sociétés qui font produire à leur marque ; des experts du e-liquide où l’on retrouve beaucoup de start-up ; des sociétés qui essaient d’être généralistes en faisant les deux ; des réseaux de revendeurs, comme Clopinette, Yes store, J Well, Vapostore… ; et des acteurs de l’Internet qui revendent sous multimarques à des boutiques ou des particuliers », poursuit cet ancien de Danone et de Monster Energy, qui a lancé la boisson énergisante Monster en France. Une étude de Xerfi réalisée en 2015 estimait le marché à 395 millions d’euros en 2014, trois fois plus qu’en 2012.
« Une dynamique dans tous les pays »
Alors que Xerfi tablait sur 355 millions d’euros en 2015, la Fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape) pense au contraire que le marché poursuivra sa progression malgré une baisse du nombre de boutiques spécialisées, passées de 2 500 en 2014 à 2 000 fin 2015. Les anciens fumeurs privilégient les enseignes spécialisées et n’ont pas forcément envie de retourner chez le buraliste. Pour Brice Lepoutre, président de l’association indépendante des utilisateurs de la cigarette électronique, « la loi de santé publique et la directive européenne risquent d’avoir des effets pervers, puisque la seule e-cigarette homologuée risque d’être celle produite par l’industrie du tabac, à terme, alors que les cigarettes électroniques qui répondent le mieux aux attentes des usagers sont d’un tout autre type ».
Difficile d’évaluer l’accueil des nouveaux entrants auprès des consommateurs, habitués à leur circuit d’achat, d’autant que les cigarettiers sont assez secrets sur leurs ventes. Tout au plus qualifie-t-on d’excellent, chez BAT, l’accueil des buralistes : « Au bout d’un mois et demi, plus de 1 000 buralistes détiennent nos produits, et nous voulons rapidement monter jusqu’à 3 000, essentiellement des points de vente urbains qui sont déjà revendeurs de la catégorie cigarette électronique », indique M. Munnier.
De cette manière, les industriels du tabac espèrent aussi compenser la baisse anticipée des ventes de cigarettes avec la mise en place du paquet neutre. « Aujourd’hui, c’est un produit grand public que les buralistes peuvent travailler comme la confiserie ou les boissons », ajoute sans états d’âme M. Munnier.
Et chez BAT, on ne compte pas s’arrêter là : un département sur les produits de nouvelle génération a été créé il y a trois ans, où travaillent près de 200 personnes en recherche et développement, marketing et commercial, et des lancements ces dernières semaines dans plusieurs pays après le Royaume-Uni (Italie, France, Pologne, Allemagne).
« Il y a une dynamique dans tous les pays mais elle est variable. Nous avons choisi ces cinq pays européens pour nous développer dans un premier temps, car nous avons la visibilité sur le marché du tabac et nous avons regardé la maturité du marché de la cigarette électronique, explique M. Munnier. Nous nous lancerons là où il y a un mouvement des consommateurs vers la cigarette électronique. En Belgique ou en Suisse, ils n’autorisent pas les e-liquides avec nicotine, donc cela réduit l’importance de ce marché. » Au Royaume-Uni, son inhalateur de nicotine, appelé Voke, a reçu l’agrément des autorités de santé pour pouvoir être prescrit et pris en charge.
Cinq ans après son arrivée sur le marché français, la cigarette électronique ne cesse de faire débat. C’est une alternative au tabac pour les uns, qui possède des effets potentiellement toxiques pour les autres. Le marché reste en tout cas dominé par les produits rechargeables (97 % en volume), préférés des utilisateurs.
Source : Lemonde.fr