Laisser de côté la science et l’innovation dans la régulation de la nicotine perpétue le tabagisme, avertit le Global Forum on Nicotine
Imaginez un univers parallèle où les gens consommeraient leur nicotine sans combustion, mais fumeraient des feuilles de thé pour obtenir leur dose de caféine. Si quelqu’un proposait d’apprendre aux gens à infuser du thé, dirait-on « Oh mon Dieu, pensez aux enfants! Et s’ils sont attirés par la consommation de thé? Et si quelqu’un qui aurait complètement arrêté de fumer des feuilles de thé commence à boire du thé ? Et s’il y avait des saveurs pour ces thés et que les gens trouvaient ce thé plus acceptable? Ils pourraient même en boire plus! » Nous ririons de cette situation et nous devrions rire des arguments similaires avancés aujourd’hui au sujet de la nicotine.
Cet argument frappant est un exemple de la pensée originale et de la volonté de défier les conventions qui ont caractérisé le Global Forum on Nicotine 2024, tenu à Varsovie. Il provient du Professeur David Sweanor, président du conseil consultatif du Centre de droit, politique et éthique de la santé publique à l’Université d’Ottawa au Canada. Actif dans les questions de politique du tabac et de la santé depuis le début des années 1980, Sweanor fait partie des nombreux professionnels de la santé, du droit et autres experts ayant participé aux débats sur la manière dont le fléau du tabagisme pourrait être éradiqué si seulement les politiciens et les régulateurs étaient prêts à écouter la science – et à écouter les adultes qui souhaitent arrêter de prendre les risques sanitaires associés au tabagisme.
Les participants au forum ont ressenti que trop souvent, ce sont les États membres de l’Union européenne, ainsi que d’autres pays à travers le monde, qui semblent entrer dans un univers parallèle. Les produits de réduction des risques, développés pour aider les fumeurs à obtenir leur nicotine de manière beaucoup plus sûre, sont interdits, taxés ou restreints, laissant les cigarettes comme le seul produit toujours disponible.
David Sweanor se réjouit cependant de la résistance des consommateurs. « Nous verrons le changement en partie parce qu’il ne peut pas être arrêté », m’a-t-il confié. « L’innovation, la technologie de rupture, il n’y a plus moyen de l’arrêter maintenant, car avec Internet pour obtenir des informations, les réseaux sociaux pour les partager et le commerce international pour obtenir le produit, on ne peut pas empêcher les consommateurs de bouger. On peut façonner ce marché, mais on ne peut pas l’arrêter ».
Nulle part le désir de façonner le marché n’est plus fort que dans l’Union européenne, l’une des premières régions du monde à réglementer les produits de réduction des risques liés au tabac, en particulier les cigarettes électroniques, de nombreux autres produits n’étant pas disponibles lorsque les réglementations ont été établies en 2014. Aujourd’hui, les ministres de la santé discutent de la restriction ou de l’interdiction des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, tels que les vapes aromatisées, à travers l’UE.
Konstantinos Farsalinos, médecin et chercheur senior en santé publique à l’Université de Patras et de l’Attique occidentale en Grèce, a mené de nombreuses recherches sur le tabagisme, la réduction des risques liés au tabac et le vapotage. Il m’a expliqué que de nombreux États membres ont déjà introduit de nouvelles restrictions, ignorant les preuves des pays ayant pris une direction différente.
Le cas le plus notable est celui de la Suède, où le tabagisme est tombé à 5,6 % des hommes adultes, selon les dernières données. C’est de loin le pays de l’UE le plus proche d’atteindre la définition de l’Organisation mondiale de la santé d’un pays sans fumée, qui est de passer sous la barre des 5 %.
Pour de nombreux ex-fumeurs suédois, la solution a été le snus, un produit traditionnel de tabac sans combustion placé sous la lèvre. « Le snus est le seul produit de réduction des risques avec des preuves épidémiologiques à long terme indiscutables montrant qu’il est presque inoffensif », a déclaré Konstantinos Farsalinos.
Mais il est interdit dans l’Union européenne, à l’exception de la Suède, bien que l’UE soit « une région où la vente du produit contenant de la nicotine le plus mortel, les cigarettes de tabac, est absolument légale, disponible partout ». L’interdiction du snus, de laquelle la Suède a obtenu une dérogation, résulte d’une campagne de peur sanitaire, prétendant que certaines études scientifiques avaient trouvé un lien entre le produit et les cancers de la bouche et des gencives.
Aucune de ces données n’existe, mais les régulateurs de la DG SANTE de la Commission européenne n’ont jamais retiré cette allégation. Ils n’ont pas non plus appris de leur erreur. « Ils essaient d’ajouter de nouvelles restrictions, ils pensent par exemple que si nous interdisons les saveurs, les enfants n’utiliseront pas de cigarettes électroniques », a déclaré Konstantinos Farsalinos, affirmant que l’histoire et l’expérience de tous les pays ayant introduit des interdictions ont été un échec total.
Il a cité l’exemple remarquable de l’Inde, où « les cigarettes électroniques étaient si rares qu’on ne pouvait pas les trouver ; on ne voyait personne vapoter. Mais ils voulaient suivre les règles et recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, alors ils ont dit ‘nous les interdisons’.
« Le marché a explosé. On trouve maintenant des produits à chaque coin de rue, dans chaque grande ville. Tout est au marché noir, illicite, entrant illégalement dans le pays. Personne ne sait d’où ils viennent, ce qu’ils contiennent… et bien sûr le marché noir attire la population la plus vulnérable, à savoir les jeunes.
« C’est un préjudice direct pour la santé publique et maintenant les gouvernements européens deviennent obsédés par les saveurs. Il y a tant de preuves de recherche que les saveurs sont destinées aux adultes. Les saveurs augmentent les chances de sevrage pour les fumeurs adultes, et pourtant les autorités insistent sur le fait que les saveurs ne sont là que pour attirer les enfants.
« Bien sûr, idéalement, tous les fumeurs devraient arrêter par eux-mêmes, mais nous avons 1,2 milliard de fumeurs dans le monde et huit millions de décès par an. Nous évitons l’exemple de la Suède. Parfois, c’est si déprimant que l’on a l’impression qu’il n’y a pas de bon sens. Il ne s’agit pas seulement de science, c’est comme s’il n’y avait pas de bon sens. Quoi qu’il en soit, soyons optimistes! »
L’optimisme était abondant au Global Forum on Nicotine. David Sweanor a affirmé que nous assistons à un changement fondamental. « Plutôt que d’être cornaqués par les régulateurs, les consommateurs trouvent des solutions par eux-mêmes… souvent en utilisant des produits que les gouvernements n’ont pas autorisés, n’ont pas encouragés et que les groupes anti-tabac ont découragés.
« Il n’y a pas longtemps, le seul pays qu’on pouvait citer était la Suède, mais maintenant nous pouvons citer la Norvège, l’Islande, le Japon, la Nouvelle-Zélande et même des pays qui ont vraiment travaillé dur pour empêcher cela, comme les États-Unis qui ont interdit pratiquement toutes les alternatives aux cigarettes… les produits sans combustion ont pris 20 à 40 % du marché de la nicotine en seulement cinq ans.
« Au Japon, les ventes de cigarettes ont diminué de moitié en seulement sept ans. En Nouvelle-Zélande, ils ont réduit de moitié les taux de tabagisme en cinq ans. Nous assistons donc à ce changement majeur malgré l’opposition. À quelle vitesse pourrions-nous éliminer le tabagisme si nous essayions vraiment? »
Le prix de l’inaction est d’abord payé par les fumeurs qui ne renoncent pas aux cigarettes, avec des conséquences désastreuses pour eux-mêmes et leurs familles. Mais David Sweanor met aussi en garde contre « la diminution de la confiance dans le gouvernement, la diminution de la confiance dans l’autorité qui est un énorme problème mondial, accentué par ce genre d’action pour empêcher les consommateurs d’obtenir des informations véridiques, de se procurer les produits, de se responsabiliser pour gérer leur propre santé ».
Un autre intervenant à Varsovie, Clive Bates, ancien directeur de l’Action on Smoking and Health (ASH) au Royaume-Uni, a identifié un défaut fondamental dans une grande partie de l’approche réglementaire actuelle. « Vous ne pouvez pas supposer – ou vous ne devriez pas supposer – que la réglementation est justifiée en soi. Elle limite ce que les gens peuvent faire. Elle limite tout.
« La réglementation doit être justifiée sur ses propres mérites. Et ces mérites sont parfois simplement illusoires… les enfants sont utilisés pour créer des campagnes émotionnelles, pour créer une sorte de panique morale et justifier des actions qui ne seraient pas justifiables si elles étaient appliquées aux adultes. Il y a 18 fois plus d’adultes utilisant des produits nicotiniques que de jeunes au Royaume-Uni, mais toute l’attention politique est portée sur le petit nombre de jeunes qui vapotent ».
Michael Landl, de la World Vapers Alliance, a également identifié la même cause de nombreux problèmes. « Pour exagérer légèrement, je dirais que s’il n’y avait pas un seul enfant vapotant dans le monde entier, nous aurions toujours un problème de vapotage chez les jeunes, car la perception est plus importante que la réalité dans la formulation de la politique et de la réglementation dans ce secteur.
« Nous vivons à une époque vraiment étrange où ce sont en fait les compagnies de tabac qui sont plus positives à l’idée d’aider les gens à arrêter ou à passer à un produit moins nocif que les organisations de santé publique et l’OMS ».
Cela peut sembler étrange, mais personne ne devrait être surpris que l’industrie soit la mieux placée pour transformer la manière dont les gens consomment la nicotine. Au cours des dix dernières années, il y a eu une prolifération de nouveaux produits sans combustion qui sont de meilleures alternatives au tabagisme.
C’est le marché qui offre les solutions, les consommateurs recherchant des produits de réduction des risques et les entreprises investissant dans l’innovation qui donne l’espoir d’un monde sans cigarettes. Les solutions dictées par le marché peuvent être difficiles à accepter pour les régulateurs, mais les politiciens doivent prendre leurs responsabilités, éviter la panique morale et insister pour que les citoyens aient le droit de choisir les solutions qui leur conviennent, surtout lorsque leur santé est en jeu.