Malgré une image négative, l’industrie du tabac prospère en Bourse. Le secteur a progressé presque 4 fois plus vite en dix ans que l’indice S&P 500.
Le tabac sera-t-il le nouveau charbon ? Alors que la gestion d’actifs abandonne peu à peu le charbon à son triste sort (le cours du charbon de chauffage n’a cessé de chuter en Europe, il a été divisé par trois depuis 2011 ), Axa vient d’annoncer sa décision de se désengager de l’industrie du tabac en cédant pour 1,8 milliard d’euros d’actifs. Il va aussi cesser d’acheter des obligations de groupes présents dans ce domaine. Axa rejoint ainsi la Norvège, dont le fonds souverain avait banni le tabac de ses investissements dès 2010, pour des raisons éthiques. Pour l’instant, la démarche d’Axa n’a pas été suivie d’une vague d’annonces de la part de ses concurrents, mais on peut se demander si à terme, le tabac ne connaîtra pas le même phénomène de rejet que le charbon. « C’est difficile à dire. En tout cas, c’est la question qu’il faut se poser à l’avenir sur ce secteur », reconnaît Yves Maillot chez Natixis AM.
Santé publique
En effet, si cette décision peut se comprendre pour des raisons de santé publique, surtout de la part d’un assureur très présent dans ce domaine, elle interpelle un peu plus étant donné les atouts du secteur en termes de performance financière. « Les investisseurs peuvent se poser la question des risques de procès liés au tabac. Cela reflète la même volonté que pour le charbon dans le sillage de la Cop 21, mais ce n’est pas le même sacrifice pour les investisseurs étant donné la performance boursière des valeurs de tabac », reconnaît Catherine Garrigues chez Allianz GI, pour qui, « il y a un vrai coût d’opportunité ».
Car le secteur se porte très bien en Bourse. Depuis le début de l’année, l’indice S&P 500 Tobacco gagne 10,49 % et 22,64 % sur un an, quand dans le même temps, l’indice S&P 500 ne prend que 2,59 % en 2016 et perd même 0,70 % sur un an. Une performance rééditée sur longue période, avec un gain moyen de 229 % sur dix ans pour Philip Morris, Altria Group et Reynolds American, contre 65 % pour l’indice élargi. En Europe, l’indice MSCI Europe Tobacco distance aussi largement l’Euro Stoxx 50. D’ailleurs, selon une étude du Crédit Suisse Research Institute, le secteur a affiché, avec les boissons, la meilleure performance sectorielle aux Etats-Unis depuis…1900 , avec un gain annualisé de 14,6 %.
Une quasi-obligation
Une performance notable alors même que la consommation de cigarette n’a cessé de diminuer aux Etats-Unis (- 4 % en moyenne depuis 10 ans selon Barclays), notamment dans un contexte de montée en concurrence de la cigarette électronique. Sauf que les prix ont montré une forte résilience et que les industriels ont su trouver de nouveaux débouchés principalement dans les pays émergents, ce qui en fait selon Barclays «un secteur très attractif aux Etats-Unis».
Pourquoi ? «En dehors de toute considération sur la santé et le tabac, d’un simple point de vue économique, le tabac est représentatif du secteur de la consommation non cyclique », explique Yves Maillot. « Il profite des évolutions régulières des dépenses des ménages. Lorsque la croissance ralentit dans les pays développés, les émergents prennent le relais, avec dans ces régions la montée en puissance d’une population qui s’enrichit. Le nombre de consommateurs augmente et cela profite à tous les secteurs de la consommation, dont le tabac ».
Par ailleurs, le secteur affiche une capacité récurrente à dégager du cash-flow. « Ce sont des secteurs qui ne dégagent pas forcément une forte croissance, mais elle est régulière et permet d’engranger des cash-flows importants », poursuit Yves Maillot. Et à court terme, pour les marchés financiers, « le contexte de taux extrêmement bas favorise les business model des entreprises bénéficiant d’une bonne visibilité». Ce qui leur permet notamment de pratiquer une politique active de retour aux actionnaires, surtout aux Etats-Unis, comme le rappelle Catherine Garrigues. « Les investisseurs sont attirés par les rendements de ces actions, qui sont de quasi obligations. Elles ont une croissance stable avec des retours aux actionnaires réguliers. C’est un thème qui marche bien en ce moment sur les marchés ».
Enfin, c’est un secteur qui pourrait bénéficier d’une vague de consolidation dans le monde, comme c’est le cas pour la bière. Car c’est un secteur qui bénéficie d’importantes barrières à l’entrée, du fait de la régulation, à l’instar des pays qui veulent promouvoir les paquets neutres. « Cela maintien le statu quo compétitif », souligne Barclays qui estime aussi que les « restrictions de publicités rendent plus difficiles la création de nouvelles marques ». Des barrières à l’entrée, des acteurs bien installés disposant d’une capacité à augmenter leurs tarifs et généreux avec les actionnaires ? L’idéal type de l’entreprise cotée en période d’aversion aux risques, même si Yves Maillot reconnaît que « la longue histoire boursière du tabac n’est pas immuable. Si les éléments macroéconomiques favorables à la consommation devraient perdurer, il faut aussi tenir compte de la spécificité de ce secteur ». Axa a choisi.
Source : Les Echos