Faisant suite au 1er Sommet de la vape, Paris Match s’est entretenu avec le Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière et tabacologue. A la veille de la réglementation sur la e-cigarette, le Pr Dautzenberg s’affirme comme un des leaders de la défense de la vape.
Paris Match : Pour la première fois, vapoteurs, professionnels, associations de lutte antitabac, médecins et représentants de l’Etat ont débattu ensemble sur la cigarette électronique. Pourquoi une telle réflexion aujourd’hui ?
Pr Bertrand Dautzenberg. Tout d’abord parce que ce qu’on entend sur la cigarette électronique, dans le grand public, est bien souvent totalement faux : « C’est dangereux », « On ne sait pas ce qu’il y a dedans », etc. Ensuite parce que les usagers, les acteurs de santé publique, et les associations de lutte antitabac ne sont pas d’accord sur tout. Il était important de faire le point sur ce que l’on sait de façon certaine et débattre des sujets où il reste des divergences [Voir encadré plus bas]. Aujourd’hui, contrairement à il y a deux ans, la Direction générale de la santé, l’Académie nationale de médecine, le Haut conseil de santé publique, et les vapoteurs sont d’accord sur l’essentiel: la cigarette électronique est un bon produit pour arrêter le tabac qu’il convient, parmi les moyens officiels, d’encourager. Des points restent soumis au débat, notamment sur l’interdiction de la publicité ou le vapotage dans les lieux publics. Les vapoteurs sont pour l’interdiction de la publicité à la télé mais revendiquent l’information et la promotion à l’intérieur des boutiques. Ils ne demandent pas qu’on vapote partout mais ils aimeraient bien pouvoir le faire dans les bars et sur le lieu de travail. Sur le plan juridique, le fumoir est une possibilité théorique dans l’entreprise. Le Directeur général de la santé (DGS), Benoit Vallet, a reconnu que ne donner aucune possibilité au « vapotoir » serait une mesure disproportionnée par rapport au risque sanitaire.
Depuis l’année dernière, deux études très rassurantes ont été publiées par les Britanniques. Au point que les fumeurs sont encouragés à vapoter pour quitter le tabac. Nos autorités de santé ne sont-elle pas trop prudentes ?
C’est normal qu’elles soient prudentes. En Grande-Bretagne, les deux études ont été produites par des agences rattachées aux autorités de Santé. Elles sont très proches du gouvernement, mais ce n’est pas le gouvernement. En France, on pourrait râler après les sociétés de médecins qui n’ont pas émis d’avis positif sur le sujet alors qu’il aurait été mieux qu’elles le fassent.
L’argument longtemps opposé à la cigarette électronique est le risque qu’elle constitue une porte d’entrée vers le tabagisme. Où en est-on aujourd’hui ?
Une étude des données de l’assurance-maladie sur une grande cohorte va être publiée à la fin du mois pour la Journée mondiale sans tabac. Elle montre que chez l’adulte, la cigarette électronique n’est pas une porte d’entrée vers le tabagisme. Même chose, semble-t-il, chez le jeune.
Avec plus de 2 millions de vapoteurs en France, l’essor de la cigarette électronique a suscité des travaux scientifiques et l’intérêt des addictologues. N’est-ce pas maintenant au tour des politiques de s’appuyer sur cette expertise pour construire une lutte plus efficace contre le tabagisme ?
Pour l’instant, la cigarette électronique est une revendication très ferme des vapoteurs et c’est une bonne chose. C’est un produit de consommation courante et non un médicament. C’est donc au marché d’être le leader de ce produit: les vendeurs, les acheteurs et la société doivent se mettre d’accord. Aujourd’hui, en l’absence d’essais cliniques, le ministère ne peut pas dire que c’est un produit bon pour la santé, même si c’est hautement probable. Par contre, il a des arguments très forts pour dire que le tabac est un poison à éliminer et qu’il semble que la cigarette électronique, produit de consommation courante, joue un rôle pour tuer le tabac. Le ministère de la Santé est 100% antitabac. Le paquet neutre gêne beaucoup les cigarettiers, même si on sait que cela ne va pas régler le problème. La baisse des ventes chez les buralistes, depuis quatre ans, est plus liée à la cigarette électronique qu’à la hausse des prix du tabac. L’avantage des Anglais, c’est qu’ils ont une politique globale dans laquelle ils disent que la cigarette électronique est un moyen de sortir du tabac. Nous allons essayer de faire bouger les choses. A l’occasion du « Moi(s) sans tabac », en novembre, nous allons monter des expérimentations autour de la cigarette électronique, dans les hôpitaux en particulier. En tant que médecin, c’est un produit à mettre en avant.
A la veille d’une réglementation qui risque de nuire à la cigarette électronique, usagers et professionnels de la vape attendent une position claire des autorités. Avez-vous le sentiment que ce rendez-vous a été propice au rapprochement ?
Le Directeur général de la santé a compris qu’il y avait un problème de dialogue. Quatre jours après le sommet, il a reçu la fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape) et a fait son agenda pour recevoir tout le monde. L’avantage colossal de ce sommet est qu’il a permis aux gens de s’écouter, de se rapprocher, et de voir que sur de nombreux sujets, il y avait des points communs. Autant sur le plan sanitaire, ce n’est pas à la Ministre de décider, autant pour régler la vie publique (l’interdiction de la publicité, de vapoter sur les lieux publics…) c’est un problème politique et c’est une décision qui lui revient.
La grande force de la cigarette électronique, c’est la vitesse de son évolution. Or les cerveaux ne sont pas les bons, dans l’industrie du tabac, pour travailler sur la cigarette électronique. Habitués à sortir des nouveaux produits créés cinq ans avant, ils ne savent pas raisonner en changeant d’avis à trois mois. En revanche, le grand frein qui peut être fait à la vape, ce sont les coûts d’enregistrement des nouveaux produits. S’ils s’élèvent à 250 000 dollars comme le veut la FDA, la cigarette électronique deviendra un produit du tabac. C’est un aspect qui énerve et gêne les politiques. Des coûts trop élevés remettront les produits de la vape entre les mains de l’industrie du tabac, seule capable de les supporter, et tueront les produits qui plaisent aux consommateurs. C’est aujourd’hui un combat à mener pays par pays.
Source : Paris Match