Cette année, la proportion de fumeurs en Russie est au plus bas depuis sept ans : aujourd’hui, moins d’un tiers des Russes fument. Est-ce le résultat de la nouvelle législation anti-tabac, l’une des plus sévères au monde ? Ou est-ce la faute de la crise économique ?
« Nous fumons vraiment moins ces dernières années. Par exemple, quand notre bande de copains, qui fument presque tous, arrivait au bar, les paquets de cigarettes “s’envolaient“ rapidement. Maintenant il faut à chaque fois sortir dans la cour. Or, nous sommes fainéants. Ce qui fait que la loi est efficace », constate Alexeï, analyste financier de Moscou.
La législation évoquée par Alexeï a été adoptée en 2013 et rapidement baptisée loi anti-tabac. Les nouvelles normes ont drastiquement réduit les espaces où il est possible de s’en griller une « légalement ». Les fumeurs ne disposent en effet plus que de la rue ou de leur appartement pour pouvoir s’adonner à leur vice. En outre, la loi interdit toute publicité pour le tabac, tandis que les taxes n’ont cessé de croître pour atteindre cette année 2 000 roubles (environ 27 euros) par kilo de tabac, soit deux fois plus qu’en 2013.
Selon un sondage réalisé par le Centre national d’étude de l’opinion publique (VTsIOM) trois ans après l’introduction de la loi anti-tabac, la part des fumeurs en Russie a diminué pour retrouver son niveau d’il y a sept ans. Aujourd’hui, 31% des Russes avouent qu’ils fument, contre 41% avant l’entrée en vigueur de la loi. En outre, 28% des fumeurs ont indiqué avoir consommé moins de tabac au cours des 12 derniers mois.
« Ceux qui avant fumaient un paquet de cigarettes par jour sont de plus en plus nombreux à n’en consommer que la moitié, voire encore moins », a déclaré à RBTH Marina Tchernova, médecin et directrice des programmes de la santé publique de la Confédération internationale des associations de consommateurs. Selon elle, la loi joue très bien son rôle : « La loi anti-tabac russe est l’une des plus efficaces au monde, elle correspond en tous points à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac. »
Interdictions et raisons économiques
Marina Tchernova relève l’importance de la composante économique de cette loi. « L’argent issu des taxes alimente le budget de la Russie. Ainsi, la majoration des taxes débouche sur l’augmentation des recettes. L’année dernière, les recettes engendrées ont augmenté de 21% par rapport à 2014 », a-t-elle expliqué. La hausse des prix rend les cigarettes de moins en moins accessibles, a-t-elle constaté.
Cette hausse des prix du tabac intervient au moment où les Russes doivent faire face à une baisse de leurs revenus compte tenu de la crise économique et de la dévaluation du rouble. Marina Tchernova a indiqué qu’il lui était difficile de comprendre si ce sont les mesures du gouvernement ou la baisse des revenus qui ont provoqué cette diminution de la consommation de tabac. Elle estime que ces deux facteurs vont de pair. Selon elle, les taxes devraient augmenter plus vite, mais le rythme actuel permet déjà de lutter contre le tabagisme.
Alexandre Drouz, coprésident du Mouvement pour les droits des fumeurs, est d’accord avec Marina Tchernova : il est difficile de pointer une raison précise expliquant la baisse du nombre de fumeurs en Russie. « Il est sans doute impossible de dire si les gens fument moins en raison des restrictions de la loi ou à cause de la baisse des revenus. Pour ma part, je fume autant qu’avant l’adoption de la loi », a-t-il confié.
La loi anti-tabac a été adoptée en Russie en 2013
Elle prévoit aujourd’hui : – l’interdiction de fumer dans les bureaux, sur le territoire des écoles, des lycées et des établissements d’études supérieures, dans les policliniques et les administrations publiques, dans les cafés et les restaurants, dans tous les modes de transport en commun, dans les gares, les ports et les aéroports, dans les stations de métro, aux arrêts des transports publics et dans un rayon de 15 mètres alentour. La violation de cette interdiction de fumer est passible d’une amende ; – une interdiction totale de la publicité pour le tabac. Dans les magasins, les clients ne doivent pas être en mesure de voir les paquets de cigarettes, ils ne peuvent que consulter les prix affichés ; – la hausse annuelle des taxes sur le tabac (27 euros le kilo en 2016, plus de 30 euros en 2017). |
Le Mouvement dirigé par Alexandre Drouz a fait son apparition pratiquement au lendemain de l’adoption de la loi anti-tabac. Ses membres estiment que cette dernière est discriminatoire et affirment qu’elle viole les droits des fumeurs. Le Mouvement a plus d’une fois exigé des autorités qu’elles reviennent sur les normes en vigueur, mais elles n’accordent aucune attention à leurs revendications.
« Les prix des cigarettes ne cessent leur mouvement ascendant, mais personne ne peut dire où va l’argent généré par les taxes. L’idéal serait qu’il aide à soigner les fumeurs et à financer les campagnes anti-tabac. De nombreux fumeurs sont dépendants au tabac et il faut les aider au lieu de porter atteinte à leurs droits », s’est indigné Alexandre Drouz.
Lui et ses compagnons de route sont certains qu’il est possible d’arriver à un compromis où les fumeurs pourraient avoir à leur disposition des restaurants spéciaux et des wagons fumeur dans les trains afin qu’ils puissent s’administrer leur dose de nicotine sans gêner les non-fumeurs.
Mais il ne semble pas que les autorités soient prêtes à faire des concessions. Bien au contraire ! La poursuite du durcissement de la législation anti-tabac est régulièrement évoquée par les autorités russes : rien qu’au cours de la dernière année, la Douma (chambre basse du Parlement russe) a proposé une interdiction de fumer en présence d’enfants et de vendre des cigarettes la nuit, ainsi que de fabriquer des cigarettes « slim ».
Pour le moment, aucune de ces initiatives n’a été adoptée, mais le gouvernement n’a visiblement pas l’intention de cesser la guerre contre le tabac.
Source : fr.rbth.com