SCIENCE : Formulation et tendances 2019 des flaveurs pour e-liquides

SCIENCE : Formulation et tendances 2019 des flaveurs pour e-liquides


Frédéric Poitou est ingénieur et Docteur es Sciences. Il est Expert Judiciaire et agrée par les institutions européennes. Son laboratoire (www.laboratoire-signatures.eu) est spécialisé dans l’analyse de la composition et des émissions de e-liquides


Perception des goûts et saveurs

Notre système gustatif et olfactif nous permet d’identifier quatre saveurs fondamentales (sucré, acide, salé, amer), une cinquième dont on discute encore la pertinence et que les Japonais appellent « l’Umami » (savoureux) ainsi qu’un certain nombre de sensations plus individualisées et moins objectivables : les goûts métalliques, piquant, brûlant, astringent et gras. Le couple « saveur + sensation » forme ce que l’on désigne sous le terme « arôme »,

Mécanisme neurobiologique du goût

La chaîne de neurotransmission du goût commence dans la bouche, lorsque les aliments libèrent au contact de la salive (donc un pH légèrement alcalin) des composés aromatiques qui se fixent sur les papilles, ces petites excroissances qui recèlent des petites cellules, les bourgeons gustatifs, sensibles aux arômes.

De nombreuses cellules et signaux sont alors mis en œuvre pour transformer les stimuli en perceptions gustatives. Dès que les substances aromatiques entrent en contact avec les bons récepteurs, il y a création d’un signal électrique qui converge vers le cerveau. C’est dans plusieurs zones distinctes, très liés à la mémoire, que les signaux produits sont décodés et interprétés.

Mais la perception des arômes ne se limite pas aux papilles car, en passant dans la cavité nasale, ces mêmes molécules sont détectées par les neurones olfactifs selon un mécanisme nommé « olfaction rétro-nasale ». C’est la synthèse des perceptions gustatives et olfactives qui constitue le goût finalement perçu. Ces deux systèmes complémentaires induisent des perceptions très différentes d’un individu à l’autre.

Enfin, la perception dépend aussi fortement de la température de l’arôme perçu, la température idéale étant de quelques degrés au-dessus de la température buccale.

Formulation des arômes

Les composants d’arômes sont des molécules organiques, constituées d’atomes de carbone, d’oxygène et d’hydrogène, de masse moyenne (MM<400) dont la tension de vapeur est suffisamment élevée pour qu’ils se trouvent naturellement à l’état gazeux afin de déclencher le stimulus au contact des bourgeons gustatifs. Les familles chimiques de ces composants sont, pour faire simple : les alcools, aldéhydes, cétones, acides, esters, phénols, terpènes et dérivés et hétérocycles.

La formulation des arômes nécessite la prise en compte des dimensions gustative et olfactive mais aussi de la réaction différente de chaque individu, de la température à laquelle l’arôme sera inhalé et de la « pyramide de composition » qui comporte trois familles de constituants :

  • Les notes de tête, plus fugaces, précises et généralement fraîches ou vertes. Ce sont celles qui sont perçues en premier.
  • Les notes de cœur sont le squelette de l’aromatisation qui permettent d’identifier le produit. Elles sont perçues après les notes de tête et sont plus persistantes.
  • Les notes de fond, plus lourdes et tenaces, sont responsables de la note « savoureuse » et de la persistance en bouche.

Ce sont déjà des contraintes difficiles à respecter, mais il faut aussi tenir compte de deux paramètres spécifiques aux e-liquides qui les distinguent des aliments classiques :

Dans les e-liquides, les molécules aromatiques ne sont pas liées à d’autres constituants contrairement aux aliments complexes et sont donc directement mises en contact avec les bourgeons gustatifs dès inhalation.

Les composés aromatiques entrent en contact avec les papilles gustatives après avoir été transformés par vaporisation à une température autour de 180°C, ce qui n’est pas le cas des aliments,

Connaître la composition de l’arôme avant vaporisation est nécessaire pour une raison règlementaire mais d’un strict point de vue organoleptique, c’est la composition de l’arôme après vaporisation qu’il est nécessaire de connaître. C’est là qu’intervient la réalité de la filière.

Spécificité de la filière

Une grande majorité de sociétés se déclarent fabricants, alors qu’en réalité bien moins d’une dizaine de laboratoires en France conçoivent leurs propres arômes.

Cette étape nécessite plusieurs contraintes technologiques : des grosses installations (contrôle qualité, analyses produit fini), un spécialiste de la formulation aromatique, un laboratoire des 1000 principales matières premières en échantillothèque pour les pesées de formulation, une cellule spécialisée en analyse sensorielle et l’appareillage nécessaire à la détermination de la composition des émissions, qui permet de connaître la composition de ce qui est perçu par le consommateur, différente de la composition de départ du liquide.

Enfin, l’autre réalité de la filière est une forte propension à la copie des meilleures formules de saveurs du marché au détriment de la création. Si bien que copie après copie, les arômes proposés sur le marché professionnel sont très éloignés de la composition de la création originale, généralement faite dans un laboratoire en tête de filière, par définition bien équipé.

L’aide à la création : L’analyse fine en laboratoire.

Reformuler à partir de la dégustation du produit dont on souhaite restituer le goût est excessivement difficile et les vrais aromaticiens en mesure de réaliser ce travail sont rares. Pour contourner cette contrainte, les labos ont recours à des instruments très complexes qui permettent d’identifier la composition d’un arôme, qu’il soit fruit, fleur, mélange, préparation culinaire, spiritueux …

La chaîne d’instruments nécessaire pour cette opération comporte plusieurs éléments : un système d’extraction de l’arôme (Extraction liquide/liquide, solide/liquide, distillation, microextraction en phase solide …) et une chaîne dite « head-space » de captation des effluves de l’arôme,

Ces deux étapes permettent de concentrer le goût souhaité en quelques gouttes de concentré. On a ensuite besoin d’un système d’analyse du concentré obtenu qui permet de caractériser, identifier les formules chimiques et quantifier les proportions relatives de tous les composants.

Ces méthodes, qui semblent très complexes, sont courantes dans des laboratoires spécialisés comme le nôtre.

Tendances pour 2019

Lors des salons Vitagora 2018, les spécialistes d’agro-media et les aromaticiens que nous avons rencontrés confirment cinq tendances majeures pour 2019 :

  • Le « flower power » : jasmin, hibiscus, géranium, violette …
  • Les déclinaisons de thés : vert, noir, ooloing, rooibos et matcha
  • Les fruits orientaux : figue de barbarie, fruit du dragon, kiwano, maracuja …
  • Les fruits nordiques : loudberry, groseille à maquereau …
  • Les épices orientales : zaatar, cardamome …

Dans tous les cas, les spécialistes prédisent l’offre de formules gustativement moins monolithiques, moins axées notes beurrées et vanille qui, à terme, génèrent une certaine forme d’écœurement ou de lassitude.

En bref

Une filière arrive à maturité lorsque, de l’amont à l’aval, les éléments qui la composent acquièrent une forme de maîtrise de la qualité. Ensuite, elles se développent en gérant la créativité. L’année qui démarre verra l’arrivée sur le marché d’arômes formulés de manière plus « complète », écartant les saveurs simplistes pour développer des concepts plus riches en termes de palette gustative.

La restitution des notes de fruits nordiques, de thés fins et de notes orientales complexes permet d’espérer des déclinaisons très haut de gamme. Les quelques sociétés Grassoises leader sur le marché de la conception sont prêtes, les formules aussi, nous l’avons constaté.

Les cœurs Kiwano, Maracuja, Loudberry, Zaatar n’attendent que les applications de nos métiers. La chance sourira aux audacieux !

Cet article scientifique est tiré du quatrième numéro de « La Vape de la Carotte » (MAI/JUIN 2019) appartenant au Vapelier O.L.F. Toute reproductiontotale ou partielle, de cet article ou d’un ou de plusieurs de ses composants, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation expresse du Vapelier O.L.F, est interdite.
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A propos de l'auteur

Ayant une formation de spécialiste en communication, je m'occupe d'une part des réseaux sociaux du Vapelier OLF mais je suis également rédacteur pour Vapoteurs.net .