Frédéric Poitou est ingénieur et Docteur es Sciences. Il est Expert Judiciaire et agrée par les institutions européennes. Son laboratoire (www.laboratoire-signatures.eu) est spécialisé dans l’analyse de la composition et des émissions de e-liquides
Le β-myrcène : Bientôt interdit dans les e-liquides ?
Sommaire
Résumé – abstract
Le Myrcène
Quelques éléments de chimie
Propriétés physiques
Règlement, statut légal
Propriétés gustatives et organoleptiques
Propriétés biochimiques et pharmacologiques
Modification de la règlementation
Conclusion
Références bibliographiques
Résumé :
Le myrcène est un composé naturel que l’on retrouve dans de nombreuses huiles essentielles alimentaires ou extraits de plante (mangue, cannelle, citronnelle). Il est inscrit dans les constituants autorisés en tant qu’ingrédient pour les arômes alimentaires, les parfums, les e-liquides et les cosmétiques, et apporte une note végétale, légèrement épicée. La puissante FDA (Food and Drug Administration américaine) vient de retirer 6 composés synthétiques de la liste positive des additifs et substances aromatisantes*, dont le myrcène. Certains étaient déjà limités, mais le Myrcène est un composant que l’on retrouve dans plus de 30% des analyses de e-liquide que nous réalisons au laboratoire. C’est une information importante pour les métiers de la vape, car si elle est confirmée au niveau européen elle posera trois problèmes :
- la détection du myrcène de synthèse (par rapport au myrcène naturel)
- sa substitution gustative et proprioceptive
- l’utilisation dans la formulation des e-liquides des produits qui contiennent naturellement du myrcène, principalement à une époque où la tendance est à la formulation d’arômes naturels ;
Cette contribution propose une mise au point technico-juridique de la problématique soulevée par cette position récente de la FDA (5 Octobre 2018)**.
Abstract
Myrcene is a natural compound occuring in many essential oils or plant extracts (mango, cinnamon, lemongrass) that brings a slightly spicy vegetable note. It is part of the approved components used as additives in food aromas, fragrances, e-liquids and cosmetics
The powerful FDA has just removed 6 synthetic* compounds from the positive list of additives and flavoring substances ** (some were already restricted), including synthetic myrcene.
Benzophenon, Ethyl acetate, Methyl eugenol, Myrcene, Pulegon, and Pyridin)
Some were already restricted, but Myrcene is a component found in more than 30% of e-liquid tests performed in our laboratory.
This information is important for the vape industry because, if confirmed at the European level, it will create three problems regarding:
- The detection of synthetic myrcene (compared with natural myrcene)
- Its taste and proprioceptive substitution
- The use in the formulation of e-liquids of products that naturally contain myrcene, particularly at a time when there’s a growing trend towards the formulation of natural flavors;
This contribution proposes a technical-legal clarification of the issues raised by the recent position of the FDA (October 5, 2018).
* Benzophenon, Ethyl acetate, Methyl eugenol, Myrcene, Pulegon, and Pyridin)
** https://www.fda.gov/Food/NewsEvents/ConstituentUpdates/ucm622475.htm
Le Myrcène :
– Quelques éléments de chimie
le myrcène est un monoterpène de formule développée C10H16 qui existe sous deux formes chimiques appelées « isomères » (en résumé, deux structures spatiales différentes), l’isomère β, et l’isomère α.
Fig. 1 : formule développée du β-Myrcène
Le β Myrcene est naturellement présent dans les huiles essentielles issues de la distillation de nombreuses plantes (pin, thym, mangue, genièvre, gingembre, houbon, lemongrass, menthe, sauge, carvi, armoise, ylang, canabis, galanga, bergamote; bois de rose, cannelle, citronelle, cardamome, …), dont beaucoup sont utilisées dans la formulation d’e-liquides. Cet isomère peut aussi être obtenu de manière synthétique, et il très complexe d’identifier le naturel du synthétique, sauf à mettre en oeuvre des méthodes très complexes et onéreuses (comme la déviation isotopique), dont le coût est rédhibitoire (analyse isotopique en particulier)
– Propriétés physiques
Liquide, huileux de couleur légèrement jaune
Odeur : Epicée, verte, houblon avec des rappels de girofle et un fond de type vin rouge. On l’utilise souvent pour donner des notes herbacées. (1)
Goût : Boisé, végétal, citrus, fruité avec une note mangue, un fond mentholé et vert.
Densité : 0,791 – 0,795 g/ml
Indice de réfraction 1,466 – 1,471
Point éclair : 103°C
Soluble : Alcool, glycol, glycérine, huiles grasses.
Insoluble : Dans l’eau
– Règlementation, statut légal.
Jusqu’à Octobre 2018, le β-Myrcène avait le statut règlementaire et les inscriptions suivantes :
FEMA 2752
FDA 172.515 / 3M39CZS25B
CE 2197
FCC (Food chemical codex) Enregistré
RIFM Enregistré
En conséquence, il était autorisé pour les applications suivantes : Parfums, cosmétiques, arômes, e-liquides, et nous en trouvons des pourcentages non négligeables dans plus de 30% des e-liquides que nous analysons au laboratoire.
Fig. 2 : Profil d’analyse GC/spectromètrie de masse, sur colonne apolaire
Pour décider que la substance était considérée comme innofensive, les experts ont évalué le niveau de perception sensorielle dans différents supports ainsi les apports journaliers maximaux chez l’humain. De même le groupe d’évaluation de la Commission européenne a défini l’utilisation normale à partir des déclaration faites à l’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments), et ceux dans toutes les catégories alimentaires déclaratives (produits laitiers, boissons, préparations alimentaires diverses, confiserie …). Ces études complétées par des études toxicologiques ont montré que ce produit n’était pas mutagène
D’ailleurs le β Myrcene est l’un des constituant de nombreuses huiles essentielles utilisées en aromathérapie pour leur propriétés médicales.
C’est de cette manière que le Myrcène a obtenu une inscription FEMA/GRAS, FDA et CE qui garantit qu’il ne présente aucune toxicité, et l’autorise donc sur les marchés alimentaires américains et européens.
– Propriétés gustatives et organoleptiques
Le myrcène apporte aux compositions aromatiques, une contribution boisée, végétale, citrus, fruitée avec une note mangue, un fond mentholé et vert. On l’utilise souvent pour appuyer une note végétale, « houblon », bière.
– Propriétés biochimiques et pharmacologiques
Le myrcène possède un grand nombre de propriétés bénéfiques pour l’organisme, qu’il soit utilisé pur ou en aromathérapie via les huiles essentielles qui en contiennent :
- Sédatif et relaxant musculaire
- Anti-inflammatoire, inhibition de l’interféron
- anti-ulcéreux gastrique et duodénal
- Antalgique et antinociceptifs, diminue la sensibilité à la douleur par auto-augmentation des dérivés morphiniques endogènes
- inhibition de la production de mélanine, et une inhibition de l’oxydation de la L-dihydroxyphénylalanine ou l-dopa
De plus, et comme la mangue dans lequel on le trouve par ailleurs, de par son action synergétique, le myrcène présente un effet de potentialisation des cannabinoides (THC et CBD 1, CBD2 en particulier), car il augmente leur insertion dans les récepteurs neurochimiques (anandamide et 2-arachidonoylglycérol).
Modification de la règlementation
Le 5 Octobre dernier, à la demande de pétitions déposées par plusieurs importantes associations de défense de la santé et des consommateurs, la puissante FDA (l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux ) a décidé de retirer pour le myrcène de synthèse, l’autorisation d’utilisation dans les applications d’arômes, de parfums et de cosmétiques, après que des éléments mettant en évidence des effets de déclenchement de cancer sur les animaux (des souris). Une clause indique toutefois que cette interdiction n’affecte pas pour le moment les autorisations d’utilisation pour les substances naturelles qui contiendraient naturellement du myrcène, et ne concerne que le myrcène de synthèse. Cette décision n’interviendra d’un point de vue applicatif, que dans 24 mois, délai considéré comme suffisant pour permettre la substitution par des composés présentant des propriétés équivalentes.
Mais, devant la puissance de la FDA, et l’influence de ses représentants d’intérêts devant les institutions européennes, on peut se demander quelle va être la position de l’EFSA, puis de la Commission, qui pourraient bien reprendre pour elles ces recommandations, et interdire le myrcène de toute formulation dans les arômes alimentaires et les e-liquides.
Conclusion
Si l’EFSA et donc la Commission Européenne viennent à suivre la position prise par la FDA et que les états membres transcrivent en droits nationaux la directive, voici les problèmes sérieux que celà poserait :
- comment substituer le Myrcène dans les futures formulations de e-liquides ?
- que deviennent les e-liquides que l’on retrouve dans le top 10 des ventes, et qui contiennent actuellement du Myrcène ?
- quelles sont les méthodes d’analyse qui permettront de discriminer le Myrcène de synthèse (désormais interdit par la FDA) du Myrcène naturel (que l’on trouve dans de très nombreuses huiles essentielles).
- quels seront les recours judiciaires en cas d’interdiction de mise sur le marché ?
Autant de question sur lesquelles notre laboratoire travaille activement depuis la décision de la FDA, tout autant au niveau du laboratoire d’Aix en Provence (www.laboratoire-signatures.eu) qu’au sein des différentes commissions près desquelles nous sommes agrées et où nous intervenons près des institutions européennes.
Les intérêts des professionnels de la vape ne seront pris en compte que si on les entend à Bruxelles. Les droits à être représentés ne s’usent que si on ne les utilise pas !
Frédéric Poitou
Chimiste Expert, www.laboratoire-signatures.eu
Agrément Institutions Européennes
Références bibliographiques
1- T Gurgel do Vale, E Couto Furtado, JG Santos Jr, GSB Viana. Central effects of citral, myrcene and limonene, constituents of essential oil chemotypes from Lippia alba (Mill.) N.E. Brown. Phytomedicine, Volume 9, Issue 8, 2002, Pages 709-714
2- Souza MC, Siani AC, Ramos MF, Menezes-de-Lima OJ, Henriques MG. Evaluation of anti-inflammatory activity of essential oils from two Asteraceae species. Pharmazie. 2003 Aug;58(8):582-6.
3- Bonamin F, Moraes TM, Dos Santos RC, Kushima H, Faria FM, Silva MA, Junior IV, Nogueira L, Bauab TM, Souza Brito AR, da Rocha LR, Hiruma-Lima CA. The effect of a minor constituent of essential oil from Citrus aurantium: the role of β-myrcene in preventing peptic ulcer disease. Chem Biol Interact. 2014 Apr 5;212:11-9.
4- Rao VS, Menezes AM, Viana GS. Effect of myrcene on nociception in mice. J Pharm Pharmacol. 1990 Dec;42(12):877-8.
5- Matsuura R, Ukeda H, Sawamura M. Tyrosinase inhibitory activity of citrus essential oils. J Agric Food Chem. 2006 Mar 22;54(6):2309-13.
6- Russo, E. (2011) Taming THC: potential cannabis synergy and phytocannabinoid-terpenoid entourage effects. British Journal of Pharmacology 163: 1344-1364
7- https://www.fda.gov/Food/NewsEvents/ConstituentUpdates/ucm622475.htm
8- Sousa, Orlando V., et al. « Antinociceptive and anti‐inflammatory effects of the essential oil from Eremanthus erythropappus leaves. » Journal of Pharmacy and Pharmacology 60.6 (2008): 771-777.
9- Gomes-Carneiro MR, Viana ME, Felzenszwalb I, Paumgartten FJ. (2005) Evaluation of beta-myrcene, alpha-terpinene and (+)- and (-)-alpha-pinene in the Salmonella/microsome assay. Food and chemical toxicology 43.2 (2005): 247-252.