D’après la députée européenne Françoise Grossetête, le professeur en pneunologie Bertrand Dautzenberg et la directrice du Smoke Free Partnership, Florence Berteletti, la proximité entre lobbies du tabac et organismes chargés de leur contrôle occasionne un manque à gagner fiscal de dix milliards d’euros en Europe chaque année.
Après la laborieuse adoption de la Directive tabac, fin 2013, et le scandale du Dalli-gate, du nom du Commissaire à la Santé de l’époque, John Dalli, poussé à la démission après une entreprise de déstabilisation orchestrée par l’industrie du tabac, on pensait en avoir fini avec le lobbying acharné des cigarettiers à Bruxelles.
Pourtant, chassez-les par la porte, ils reviennent par la fenêtre ! Heureusement, alertés des méthodes nauséabondes et des pratiques de lobbying opaques de l’industrie du tabac, figurant nous-même en bonne place sur la liste noire des cigarettiers, nous sommes restés vigilants. La Directive tabac adoptée, il fallait encore qu’elle soit dûment appliquée dans les États membres, d’ici le 20 mai prochain. L’heure n’était donc pas au relâchement.
Nous ne fûmes donc pas surpris d’être informés, il y a près d’un an, du nouveau cheval de bataille des lobbyistes du tabac: récupérer le contrôle de la lutte contre la contrebande et la contrefaçon, notamment à travers le système de suivi et de traçabilité des paquets de cigarettes. Les enjeux sont énormes; les autorités saisissent en effet chaque année sur le territoire de l’Union européenne près de 300 millions de cigarettes de contrebande. Des fabricants se sont fait prendre la main dans le sac alors qu’ils alimentaient eux même la contrebande, afin de contourner les lourdes taxes sur les produits du tabac. Ces pratiques occasionnent un manque à gagner fiscal de près de 10 milliards d’euros par an en Europe. Des chiffres en constante augmentation…
Des liens étroits entre cigarettiers et organismes de contrôle
Suite à la révélation des actions de fraude de certains cigarettiers, entre 2004 et 2010, la Commission européenne et son agence de lutte anti-fraude, l’OLAF, ont conclu plusieurs accords avec quatre grands fabricants, obligeant notamment ces derniers à financer la lutte contre la contrefaçon et les trafics. Des accords de dupes en réalité, puisque sous couvert de ces textes, on place indirectement l’industrie du tabac en position d’influencer et de façonner elle-même la politique anti-fraude. On entretient du même coup les liens étroits entre les cigarettiers et les organismes chargés de leur contrôle !
Un exemple très concret concerne ainsi le système de suivi et de traçabilité des paquets, qui doit être mis en place en vertu des dispositions de la Directive tabac. Plusieurs entreprises indépendantes ont fait des offres de service à la Commission en la matière. Pourtant, fin 2015, l’OLAF (qui soutient par ailleurs ouvertement les accords entre la Commission et l’industrie du tabac) s’est prononcé explicitement en faveur du système Codentify, mis en place, utilisé et défendu par les producteurs de tabac eux-mêmes! Une façon pour ces derniers de garder la haute-main sur le juteux business de la contrebande…
« Le lobby du tabac a le bras long »
Ces liens incestueux ont fini par alerter non seulement l’OMS et le médiateur européen, qui ont déjà fait part de leur inquiétude à la Commission, mais aussi le Parlement Européen de Strasbourg, qui s’est récemment opposé très fermement au renouvellement des accords de coopération avec l’industrie du tabac. Ces derniers sont en effet en parfaite contradiction avec la Convention Cadre de l’OMS sur le contrôle des produits du tabac, déjà ratifiée par la France et par la plupart des 28 pays européens, qui stipule que « les parties contractantes protègent leurs politiques de santé publique de l’influence de tout intérêt commercial ou privé provenant de l’industrie du tabac« .
Pourtant, malgré les injonctions du Parlement, le feuilleton continue et la Commission ne s’est pas encore prononcée fermement pour ou contre la reconduction des accords. Une chose est sûre : le lobby du tabac démontre une fois de plus qu’il a le bras long… et beaucoup d’imagination. Une raison supplémentaire de rester vigilant. Prendre la décision de laisser entre les mains de ceux qui ont organisé la contrebande les outils de contrôle de celle-ci serait non seulement une atteinte à la santé publique, mais aussi une atteinte à l’éthique et aux institutions, les citoyens ne supportant plus de voir ceux qui sont désignés pour les diriger être à la botte des lobbies.
Un article de Françoise Grossetête est députée européenne spécialiste des questions de santé et Bertrand Dautzenberg est professeur de pneumologie à l’upmc et praticien à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et Président de Paris Sans Tabac.
Source : lexpress.fr