Dans une tribune du site « Lorientlejour.com« , un médecin addictologue et tabacologue de l’Université Grenoble Alpes s’est attardé sur la situation de ces pays qui ont réussi à empêcher la population de fumer. Une poignée de pays comme l’Irlande et l’Australie, ou une nation comme l’Écosse (Grande-Bretagne), ont réussi à dissuader leurs habitants de fumer. Comment s’y sont-ils pris ?
QUELQUES PAYS ONT RÉUSSI A EMPÊCHER LA POPULATION DE FUMER
Une poignée de pays comme l’Irlande et l’Australie, ou une nation comme l’Écosse (Grande-Bretagne), ont réussi à dissuader leurs habitants de fumer. Comment s’y sont-ils pris ? En déployant toute une panoplie de mesures radicales, lesquelles font désormais figure d’exemple à suivre pour combattre l’addiction à la nicotine.
La France a d’ailleurs repris à son compte l’une de ces mesures, le paquet de cigarettes neutre, en vigueur depuis le 1er janvier. Mais la France se trouve maintenant au milieu du gué. Si elle ne joue pas simultanément sur les autres leviers, en imposant notamment une succession de très fortes augmentations des prix, les résultats risquent fort… de ne pas être au rendez-vous.
Un fumeur sur deux mourra de son tabagisme, rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le coût économique des maladies dues au tabac dans le monde est estimé à 422 milliards de dollars (environ 400 milliards d’euros), selon une étude publiée le 4 janvier dans la revue Tobacco Control. Dès lors, on comprend que l’OMS ait poussé les gouvernements, dès 2003, à discuter tous ensemble des moyens à privilégier dans la lutte contre ce fléau. À ce jour, 180 pays ont ratifié le traité des Nations unies sur la question, la convention-cadre de lutte antitabac.
La stratégie retenue par cette convention repose sur l’interdiction de la publicité pour le tabac, l’augmentation du prix par le biais des taxes, la protection des non-fumeurs contre le tabagisme passif, l’éducation et l’information sur les dangers du tabac et l’aide à l’arrêt du tabac.
COMBATTRE LES STRATÉGIES DE L’INDUSTRIE DU TABAC
En 2016, la 7e Conférence des parties à la convention (c’est-à-dire des pays qui l’ont ratifiée), la COP7, a également appelé à combattre « les stratégies de l’industrie du tabac venant à saper ou dénaturer la lutte antitabac ».
Parmi les signataires, certains se sont distingués en réalisant l’exploit de ringardiser la cigarette chez les jeunes et de décourager la grande majorité des adultes de fumer. L’Irlande, pour commencer. Le gouvernement de Dublin a institué l’interdiction de fumer dans les lieux publics et collectifs dès 2004. Sa loi antitabac est considérée comme l’une des plus strictes qui soient, car l’interdiction concerne les bars, les pubs, les restaurants, les clubs, mais aussi les lieux de travail, les bâtiments publics, les véhicules d’entreprise, camions, taxis et fourgons. De plus, elle s’étend à un périmètre situé dans un rayon de 3 mètres de ces lieux. Dans les pubs, l’amélioration de la qualité de l’air et celle de la fonction respiratoire des clients et des barmans est attestée par plusieurs études, comme celle menée un an après l’interdiction, le rapport de l’Office irlandais de contrôle du tabac ou celui du ministère irlandais de la Santé.
L’application de la loi antitabac a fait baisser rapidement le taux de prévalence du tabagisme dans ce pays de 29 % en 2004 à 18,6 % en 2016, selon le ministère irlandais de la Santé. Par comparaison, ce taux n’a que peu diminué en France, passant de 30 % en 2004 à 28 % en 2016– il est d’ailleurs stable depuis 2014, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Le prochain objectif, c’est « l’Irlande sans tabac » en 2025, c’est-à-dire moins de 5 % de fumeurs dans la population.
L’Écosse a suivi de près l’Irlande, en votant deux ans après l’interdiction de fumer dans les lieux publics et collectifs. Son application a réduit le taux de prévalence du tabagisme des Écossais de 26,5 % en 2004 à 21 % en 2016. En 2016, l’Écosse est allée plus loin en interdisant aux adultes de fumer dans leur voiture en présence d’enfants mineurs. Cela devrait épargner à 60 000 enfants par an les risques liés au tabagisme passif, a précisé le député Jim Hume, à l’initiative du texte de loi.
Autre champion de la lutte antitabac, l’Australie. Le principal point fort de ce pays ? L’adoption du paquet de cigarettes neutre en 2012. Le taux de prévalence du tabagisme, qui était déjà modéré, a encore diminué, passant de 16,1 % en 2011-2012 à 14,7 % en 2014-2015. Ce pays entend coupler désormais le paquet neutre et une augmentation annuelle des taxes de 12,5 % chaque année pendant 4 ans. Le paquet de cigarettes, actuellement à 16,8 euros, passera alors à… 27 euros en 2020. Le but est de descendre sous la barre des 10 % de fumeurs d’ici à 2018.
Par leurs politiques antitabac offensives, ces pays suscitent les réactions des fabricants de tabac. Les industriels, désignés sous le nom de Big Tobacco pour les 5 plus gros (Imperial Tobacco, British American Tobacco, Philip Morris, Japan Tobacco International, China Tobacco), intentent en effet des procès aux pays adoptant, par exemple, le paquet neutre. Ils attaquent pour atteinte à la propriété intellectuelle et à la liberté de commerce ainsi que pour le risque de contrefaçon, au motif que ces paquets sont plus faciles à copier. Ainsi, Japan Tobacco International a porté plainte en Irlande contre le paquet neutre en 2015. La décision n’a pas encore été rendue à ce jour.
PHILIP MORRIS DÉBOUTÉ DE SA PLAINTE CONTRE LE PAQUET NEUTRE
À l’échelle de l’Europe, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rejeté, le 4 mai 2016, le recours de Philip Morris International et British American Tobacco contre la nouvelle loi européenne généralisant le paquet neutre. En Australie, Philip Morris a été débouté d’une plainte semblable en décembre 2015 par le Tribunal d’arbitrage d’investissement par rapport aux droits de propriété intellectuelle. Il a été condamné à retirer le logo et à renoncer à la charte graphique de ses marques.
En France, où en est-on ? La France a d’abord joué, au début des années 2000, sur l’augmentation des prix, qui a provoqué une diminution d’un tiers environ des ventes de tabac. Comme le précise le Pr Gérard Dubois dans la Revue des maladies respiratoires, la forte augmentation du prix du tabac en 2003 (8,3 % en janvier, 18 % en octobre) puis en 2004 (8,5 % en janvier) a entraîné sur la même période une baisse de la prévalence du tabagisme de 12 %, le nombre de fumeurs passant de 15,3 millions à 13,5 millions.
Par la suite, les augmentations, beaucoup plus modérées, n’ont eu que très peu d’effet, comme le montre l’étude publiée en 2013 par l’épidémiologiste de l’Institut Gustave Roussy, Catherine Hill. Sur ce point, le rapport de la Cour des comptes de février 2016 est clair : « Des hausses de prix plus fortes et plus continues sont à imposer. » La Cour des comptes recommande ainsi de « mettre en œuvre dans la durée une politique de relèvement soutenu des prix en usant de l’outil fiscal à un niveau suffisant pour provoquer une baisse effective et durable de la consommation ». Exactement ce qui a été décidé en Australie.
En France, on est encore loin du compte. Le 20 février, le prix du tabac à rouler a subi une hausse de 15 % en moyenne, soit entre 1 euro et 1,50 euro supplémentaire par paquet. Les paquets de cigarettes continuent pour leur part à se vendre entre 6,50 et 7 euros, les fabricants ayant renoncé à des augmentations de prix malgré des hausses de taxes. Le 10 mars, c’est la décision d’augmenter uniquement le prix des cigarettes les moins chères qui a été prise, avec une augmentation de 10 à 20 centimes d’euro par paquet.
À lui seul, le paquet neutre a peu de chances de permettre une diminution de la proportion de fumeurs. En effet, c’est la combinaison de plusieurs mesures qui amène l’efficacité. Si la France veut espérer servir d’exemple, un jour, à d’autres pays pour sa lutte antitabac, elle devra s’inspirer de pays comme l’Australie ou l’Irlande et prendre des mesures beaucoup plus radicales.